"L'Ourson bleu de Noël"Notre amie Maryvonne ne manque pas de talent pour écrire. Voici une histoire pleine de de tendresse. Nouvelle ou conte de Noël ? ... |
Peu avant la Noël, Tinou, petit garçon de trois ans, qui vit dans une chaumière isolée avec sa jeune maman, descend à l’épicerie du village, blotti tout en bas, dans la vallée.
Arrivé devant la vitrine illuminée, l’enfant s’arrête pour contempler le spectacle enchanteur qui s’offre à ses yeux. Après quelques instants, sa mère l’entraîne à l’intérieur de la boutique et lui lâche la main pour pouvoir faire ses achats plus facilement. Profitant de cet instant de liberté, Tinou se dirige vers le fond du magasin, s’éloignant ainsi de l’endroit où se trouve M’man. Qu’est-ce qui a bien pu attirer le petit garçon aussi soudainement pour qu’il oublie d’avertir sa mère?
Sur une étagère habillée de papier rouge, à environ un mètre plus haut que la tête de Tinou, est assis un joli petit ourson en peluche bleu pâle, avec des coussins de pattes blancs et de jolis yeux en forme de boutons de bottine noirs brillants. Il semble tendre les bras à l’enfant et, sous son petit museau de laine brodé et pointu, il ouvre une petite gueule à l’intérieur beige rosé qui s’étire comme dans un sourire. Un large ruban de satin bleu foncé avec un gros noeud entoure son cou.
Tinou le contemple avec envie et plus rien alentour ne l’intéresse. Quelle joie immense ce serait de pouvoir posséder ce petit être de tissu pelucheux tout doux qu’il pourrait serrer contre lui le soir en s’endormant ! Quel bonheur de pouvoir lui confesser tous ses petits secrets ! Les yeux du petit garçon fixent l’ours si intensément qu’on pourrait croire qu’il est hypnotisé sous le charme.
M’man, qui n’avait pas encore remarqué l’objet tant convoité par son petit bonhomme, détourne la tête et le voit là, planté devant l’étagère, en admiration devant le jouet. Alors, discrètement, elle s’assure du prix de l’ourson bleu auprès de la marchande. Mais, celui-ci est beaucoup trop élevé pour sa maigre bourse, et M’man ne peut se permettre une telle dépense, même en cette période de fête. Pauvre Tinou, pense t-elle, comme il va être déçu le jour de Noël, car je sais bien maintenant ce qui lui ferait tant plaisir. Bien sûr, Tinou a bien quelques joujoux que M’man lui a, pour la plupart, fabriqués avec des restes de tissus qu’elle avait patiemment cousus et bourrés de lainages ou de chiffons réduits en morceaux, mais ils ne sont pas comparables à ce nounours en peluche si merveilleux et si agréable à regarder. On dirait que l’objet va parler tant il est impressionnant de réalisme et son expression candide inspire aussitôt la douceur. On a soudain envie de le prendre dans ses bras et de le cajoler. Alors, doucement, M’man s’approche de l’enfant, se baisse et lui murmure à l’oreille :
- "Viens Tinou, j’ai terminé. Rentrons chez nous veux-tu mon petit ?"
- "Dis M’man, il n’est pas heureux ici, emmenons-le avec nous, tu veux bien ?"
La mère sent soudain des larmes chaudes envahir ses paupières. Que peut-elle répondre à son petit bambin pour ne pas lui faire trop de peine ?
- "C’est impossible mon enfant, cet ours ne nous appartient pas, il est au Père-Noël et seul le vieil homme peut venir le chercher. Nous n’avons pas le droit de le prendre, ce serait un vol."
Alors, la peine au cœur, Tinou admire une dernière fois l’ourson bleu qui lui tend ses petites pattes. Que ne ferait-il pas à cet instant pour posséder cet ami tant attendu et espéré !
Les jours passent. Tinou, depuis sa descente au village a perdu sa gaieté et sa joie de vivre. Un matin, sa mère se penche sur lui et constate qu’il est brûlant de fièvre.
- "Mon dieu, pense t-elle, mon pauvre Tinou est malade. Il a du attraper froid en descendant l’autre jour. Il faut que je le soigne."
Durant son sommeil agité, l’enfant prononce des mots inintelligibles. Parmi ces phrases décousues, un nom cependant revient constamment : Tommy. Mais qui est donc ce Tommy qui envahit ses rêves ?
M’man qui veille à son chevet a soudain une idée. Mais oui, Tommy n’est autre que ce splendide ourson bleu qui attend sur l’étagère de l’épicerie. Tinou, dans son délire, possède déjà l’ours en peluche et en a fait son ami intime. Alors, elle quitte précipitamment sa chaumière et arrive pour l’ouverture de l’épicerie.
- "J’aimerais que vous me vendiez cet ours en peluche bleu, s’il vous plaît madame. Tinou l’a tellement admiré l’autre fois qu’il en a rêvé et je voudrais tant lui offrir en cadeau de Noël. Combien coûte-t-il déjà ?"
- "Vingt-cinq sous, mais c’est un très joli ourson, en belle laine de mohair, soyeuse et solide. Votre fils sera ravi de le serrer contre lui tant il est doux."
Pauvre M’man ! Mais comment a t-elle pu en oublier la valeur ? Il lui manque dix sous pour pouvoir acheter Tommy. La marchande ne lui donnera pas et elle va devoir repartir dans le froid, sans cadeau pour son bambin. Alors, nerveusement, à bout de forces et peinée de voir son petit ange malade, elle ne peut retenir ses larmes. Voyant son désespoir, la marchande a pitié d’elle et lui propose aimablement :
- "Si vous n’avez pas assez d’argent aujourd’hui, payez moi le reste dans le mois qui vient car je vous connais."
M’man, surprise, accepte cette proposition si gentille et si inattendue, et ses larmes s’arrêtent de couler.
La marchande descend l’ourson en peluche bleu de la planche d’exposition et le met entre les mains de la jeune femme. Aussitôt, le phénomène se produit. M’man est très sensible à la douceur de sa peluche et surtout à l’expression de son regard. Les yeux de bottine de l’ourson la fixent, semblant lui dire : " Emporte-moi, un petit garçon malade m’attend et je sais que je peux lui redonner envie de rire et de chanter ".
Alors, la jeune mère dépose tous ses sous sur le comptoir de l’épicière, et emporte l’ours enveloppé dans un morceau de gros papier d’emballage. A son retour, Tinou dort toujours et ne s’est pas aperçu de l’absence de sa mère. M’man dégage lentement et silencieusement l’ourson de son emballage et, après avoir ébouriffé ses poils soyeux et brillants, le dépose avec tendresse dans le lit, tout contre le petit bonhomme endormi. Puis elle attend patiemment qu’il se réveille.
Sentant bien une présence inhabituelle dans ses draps, Tinou commence par remuer un bras, puis l’autre. Sa main effleure l’ours en peluche. Sans qu’il s’éveille complètement, Tinou enfonce ses petits doigts doucement dans le pelage comme pour mieux réaliser ce qu’il touche. Puis, les derniers lambeaux de sommeil se dissipent totalement et Tinou ouvre les yeux. La première chose qu’il voit, en ce matin de Noël, à son réveil, c’est l’ourson bleu, qu’il a surnommé dans ses rêves hallucinatoires, Tommy.
- "Tommy, mon Tommy à moi ..." murmure t-il tendrement. Puis, réalisant soudain l’incroyable événement, il se dresse d’un bond et appelle sa mère.
- "M’man, viens voir ! Tommy est là !"
Sa mère se penche au-dessus de lui et lui explique doucement, émue :
- "Tu sais, mon Tinou ? Tu as dormi longtemps et pendant ton sommeil, le Père Noël est descendu dans la cheminée et a déposé Tommy dans tes petits chaussons."
- "Mais, comment le Père Noël a t-il su que je voulais Tommy ? Je ne lui ai rien demandé ..."
- "Vois-tu, mon ange, les grandes personnes savent beaucoup de choses et, dans la nuit de Noël, tous les voeux des petits enfants sages se réalisent. L’important, mon Tinou, est que tu sois heureux aujourd’hui car c’est le plus beau cadeau que le Père Noël puisse me faire, à moi !"
Alors, Tinou regarde sa mère qui a deux petites larmes brillantes au coin des yeux. Il s’assoit dans son lit et entoure son cou de ses deux bras. Puis, tendrement il se blottit contre elle et ils restent tous deux ainsi durant un long moment, avec pour seul observateur, Tommy, l’ourson bleu de Noël, qui va bien vite devenir le confident et le meilleur ami d’un petit garçon haut comme trois pommes.
Texte : Maryvonne
Illustrations : Laurence Veron
Nouvelle écrite en mai 2000