Doudou et moi
Quand j'étais petite, je me suis toujours demandée si mon doudou était un ours ou un lapin.
Avec ses grandes oreilles, ses pattes démesurées et ses yeux ronds d'étonnement, on lui aurait peut-être bien tendu une carotte au lieu d'une cuillerée de miel!
Je l'avais tout simplement surnommé Doudou car je passais très souvent ma main sur le haut de son crâne, là où les poils sont les plus doux.
Ma tendresse pour lui était sans limite:
- Je machonnais le bout de ses pattes.
- J'entortillais ses grandes oreilles autour de mes doigts.
- Je léchais presque son museau avec mes gros bisous baveux.
Toute la journée, je le traînais avec moi, une oreille dans ma main.
Toute la nuit, je le serrais contre moi avec tendresse, pour éloigner les cauchemars et les pleurs.
Mais bien que je l'aimais beaucoup, j'étais souvent brutale avec Doudou.
- Une fois, alors que j'étais en colère, je l'ai fait voltiger à travers toute la pièce et il a atterri, piteux, sur le carrelage tout dur.
- Une autre fois, je l'ai tapé de toutes mes forces parce que qu'il avait fait une grosse bêtise (du moins, c'est ce que je croyais)
- Encore une autre fois, je l'ai ligoté à un arbre pour qu'il se tienne tranquille
Mais c'est aussi PARCE QUE je l'aimais beaucoup que j'étais parfois brutale avec lui.
Lors des bagarres, je le défendais toujours sauvagement contre les autres enfants qui voulaient me le prendre.
C'est de cette manière que le malheur arriva:
Daniel avait attrapé Doudou par la tête.
Moi, j'avais aussitôt
retenu mon jouet favori par les pattes et je cherchais violemment à
récupérer mon bien.
De sinistres craquements auraient dû m'avertir, mais dans le feu de l'action, je n'y fis pas du tout attention.
Or Doudou était déjà bien vieux, sa fourrure avait été usée par mes caresses répétées.
Doudou ne résista pas à la tension: Le tissu se déchira dans un grand bruit !
Daniel et moi tombâmes, avec chacun un morceau de Doudou dans la main. Nous restâmes ainsi un instant, hébétés.
Puis je me mis à HURLER.
Ce fut le cri de douleur le plus strident qu'on n'a jamais entendu.
Tous les enfants accoururent, aussitôt suivis de la nounou.
Celle-ci me prit dans ses bras, me consola et m'apporta d'autres jouets.
Mais je ne revis plus jamais Doudou.
Je crois, j'en suis sûre même, qu'elle l'avait discrètement jeté à la poubelle !
On ne retrouva jamais de remplaçant à Doudou.
Aucun jouet, fut-il le plus adorable, le plus doux, ne
trouva grâce à mes yeux.
Mais j'avais grandi tout d'un coup, avec la disparition de Doudou.
Je décidais d'apprendre à lire, à comprendre, à étudier.
Cela devint mon unique préoccupation.
Vers l'âge de dix ans, j'ai découvert la couture.
J'ai appris:
- à poser un patron en papier sur le tissu
- à en tracer le contour
- à découper soigneusement le tissu sur le trait
- à faire de belles piqures pour assembler les morceaux (et bizarrement, on coud tout à l'envers !)
- à faire de beaux ourlets en bas des jupes ou des pantalons
- à poser des boutons, à coudre des boutonnières...
J'aimais beaucoup cela. Je réalisais des vêtements pour mes poupées, puis pour moi.
Il a fallu longtemps pour que l'Idée germe en moi. Mais lorsqu'elle est apparue, je n'ai eu de cesse de la réaliser.
Comme il n'y avait pas d'école pour apprendre ce que je voulais, j'ai fait comme j'ai pu pour réaliser moi-même mes propres modèles.
Mais au début, le résultat fut décevant.
- La tête était bien trop petite ou carrément énorme.
- les yeux semblaient démesurés ou au contraire minuscules.
- les oreilles paraissaient ridicules, molles ou trop raides.
- Le corps était pataud, lourdaud, gras ou à l'inverse trop menu, maigrichon...
Mais après chaque tentative ratée, je faisais des corrections et je recousais un autre modèle.
Bizarrement, alors que je n'étais toujours pas satisfaite, mes amis ont trouvé mes nounours adorables.
Certains ont voulu les acheter, des boutiques les ont réclamés...
Bref, les clients se sont arrachés les petits ours en peluche que je fabriquais !
Mais moi, je continue à rêver et dans mes rêves, c'est toujours Doudou que je voudrais retrouver.
Et j'en suis sûre: Un jour, je ferai revivre Doudou.
Texte et illustrations: Laurence Veron
Nouvelle écrite en Mai 2000. Nouvelles illustrations en Juillet 2005